Suggestions de lecture

Atuk, elle et nous : réparer un lien brisé

photo Laurence Gagnon

Par Laurence Gagnon

Suggestions de lecture

22 juin 2022

Crédit photo : Laurence Gagnon

Avant Kukum, il y a eu Atuk, un récit à deux voix qui racontent la vie de Jeannette Siméon, née au milieu du territoire de chasse ancestral de son peuple, et la quête identitaire de son petit-fils, Michel, né à Alma, la ville des blancs. Ce quatrième roman de Michel Jean, journaliste et écrivain d’origine innue, nous plonge dans les histoires familiales de ce dernier et aborde les questions du rapport au territoire, des liens familiaux et de la transmission de l’héritage culturel.

 

On rencontre d’abord Michel aux funérailles de Jeannette, où, après la dernière prière en français, quelqu’un demande : «Est-ce qu’on peut faire une prière pour Jeannette dans sa langue ?» Cette phrase prononcée par une membre de la famille lance Michel dans une exploration de ses origines et de sa relation à son identité mixte qui durera tout au long du récit.

En alternance avec ces réflexions se déroule la vie entière de Jeannette Gagnon, née Siméon. Nommée Shashuan Pileshish («hirondelle» en langue innue) par son clan, elle raconte avec le recul de ses cent ans son enfance en tant que fille de chasseur, puis son passage à l’âge adulte où, mariée à un blanc, elle s’installe à Alma et se retrouve exclue de sa communauté.

À travers l’histoire de Jeannette se tisse celle de Michel, qui renoue avec ses origines et découvre la signification que prend pour lui son héritage innu, tant au niveau social qu’identitaire.

 

Nitassinan et le rapport au territoire

 

De la fin de l’été au printemps, la famille de Jeannette voyage jusqu’au creux de la forêt pour atteindre le territoire de chasse familial. Hommes, femmes et enfants y passent l’hiver à chasser et trapper, à ramasser des provisions et à préparer des peaux d’animaux qu’ils pourront ensuite vendre au comptoir de la Compagnie de la baie d’Hudson.

Jeannette développe ainsi une relation particulière avec le territoire — ou Nitassinan, en langue innue —, une relation d’échange. Si elle prend au territoire ce dont elle a besoin pour vivre, elle doit aussi l’en remercier, mais surtout, ne jamais prendre plus que ce dont elle a besoin. C’est ce que lui enseigne son grand-père Malek, la première fois que Jeannette chasse le caribou :

 

Ça ne sert à rien de tuer davantage. […] Respecte la nature si tu veux qu’elle te permette de vivre longtemps.

(p. 117)

 

L’idée d’un dialogue entre l’Innu et le territoire les positionne comme étant liés : l’Innu fait partie de Nitassinan, mais Nitassinan fait aussi partie de l’Innu. Cette conception qui se dégage des chapitres suivant le point de vue de Jeannette est pratiquement absente de ceux narrés par Michel. Ayant passé toute sa vie loin des terres de ses ancêtres, Michel a conscience que son lien avec Nitassinan est plus distant, tout comme son lien avec sa propre identité innue. Et de là émerge une sorte de culpabilité, le regret de ne pas avoir cherché à approfondir ce lien, même si la personne qui lui aurait permis de le faire se trouvait si près : sa grand-mère Jeannette.

 

Rites, savoir et spiritualité : l’héritage des aînés

 

La relation d’échange entre Jeannette et le territoire témoigne d’une conception spirituelle de celui-ci, transmise par les aînés aux générations suivantes. Les histoires et les mythes qui expliquent le fonctionnement de la nature sont racontés aux enfants par leurs aïeuls ; ceux-ci sont donc considérés comme la principale source de savoir et sont traités avec un grand respect. Il en va de même pour les tâches qui servent à assurer la survie de la famille : Malek enseigne à Jeannette la chasse, sa mère et sa tante, à tanner les peaux, etc.

Ce qui se dégage du récit de vie de Jeannette, c’est aussi une vision spirituelle des animaux et du territoire. Les esprits de la nature guident la vie des Innus au quotidien et, à travers les shamans, influencent leurs décisions futures. Ces croyances cohabitent avec la religion catholique introduite lors de la colonisation : Jeannette et sa famille vont à l’église et prient le Créateur, figure fusionnelle entre le Dieu catholique et celui des Innus. Ces deux traditions n’entrent pas en conflit. Elles coexistent, puisqu’elles répondent à des besoins différents.

À travers le ressassement de ses souvenirs, Michel constate la rupture entre sa génération et celle de ses grands-parents, et le regret de voir le savoir ancestral disparaître. Certains aspects de son héritage innu lui demeureront inconnus maintenant que sa grand-mère est décédée et c’est avec ce poids sur sa conscience qu’il cherche à réparer ce lien brisé, en transmettant lui-même les parcelles de savoir qu’il a réussi à obtenir, presque par hasard, au fil du temps.

Le récit de Michel Jean se conclut sur cette volonté de transmission du savoir et de la culture à la génération suivante, tout en faisant la paix avec le sentiment de culpabilité et de regret face à l’incapacité de réparer le lien brisé avec celle d’avant. Ce récit entrecroisé est touchant dans sa manière de raconter la perte de contact avec l’héritage innu, et la tentative de le retrouver. L’auteur nous pousse aussi à réfléchir sur les relations intergénérationnelles et sur le rapport qu’on a avec nos aînés et comment nous, occidentaux, gagnerions à les valoriser, plutôt qu’à les considérer comme un fardeau dont la contribution à la société est terminée.

Atuk, elle et nous est d’abord paru en 2012 sous le titre Elle et nous, avant d’être révisé et réédité en 2021.

 

Du même auteur :

 

Kukum, éditions Libre expression (2019)

Tiohtiá:ke, éditions Libre expression (2021)

 

À PROPOS DE LAURENCE GAGNON

Laurence est une passionnée des lettres depuis toujours. Détentrice d’une maîtrise en langue et littérature françaises de l’Université McGill, elle s’intéresse à ce que le texte littéraire peut dire sur l’être humain et son rapport au monde qui l’entoure. Curieuse de nature, elle aime apprendre sur différentes cultures et leurs manières d’envisager la spiritualité et les relations avec la communauté. Ses passe-temps vont de la marche en forêt au cinéma japonais, en passant par la littérature des Premières Nations et la musique classique.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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